Notre-Dame de Paris vaut qu’on prenne pour elle le temps nécessaire !

Je respecte et soutiens globalement le président de la République et son Premier ministre.

Je m’efforce de ne pas apparaître pour autant comme un « godillot ».

En matière d’immobilier, de travaux publics, d’infrastructures, d’aménagement des territoires, d’urbanisme, de bâtiment, formations et expériences m’ont apporté compétence.

J’ai un ami. Camarade de promotion de l’école nationale des ingénieurs des travaux publics de l’État. Nous avons préparé ensemble les concours de promotion professionnelle. Et réussi, avec un troisième…

Il est aujourd’hui ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts en retraite. Il est encore bien plus compétent que moi en bâtiments, notamment publics.

Avec son autorisation, je publie ici ce qu’il écrit sur Notre Dame de Paris.
Bien entendu, je suis à 100% de son avis. J’aurais pu écrire mot pour mot la même chose, mais comme il m’a devancé, j’ai plaisir à le relayer !

« Lettre ouverte aux Français et à tous ceux qui sont choqués par la précipitation du pouvoir.

Au secours, Victor Hugo, reviens, ils sont devenus fous !

Quelle mouche a-t-elle piqué le président de la République pour qu’il se mêle sous le coup de l’émotion et de la pipolisation du pouvoir de dire, en moins d’une journée, comment, et à quelle échéance, nous allons tous ensemble reconstruire Notre-Dame de Paris ?

Justement, puisqu’il nous prend à témoin pour décider de ce qui doit être fait et vite, prenons le temps de réfléchir un tant soit peu et mettons fin à ce concours Lépine de la meilleure fausse bonne idée.

Voilà un édifice bien évidemment classé au patrimoine des monuments historiques, de retentissement culturel et religieux mondial, vitrine d’une France qui possède de nombreux édifices de facture architecturale remarquable.

Rappelons par ailleurs qu’on peut considérer son âge vénérable (800 ans si on excepte la restauration- ajout de Viollet-le-Duc) comme un gage de sagesse et d’ancrage profond dans le paysage parisien. La Seine accueille son reflet depuis des siècles et cela doit continuer pour les siècles à venir.

Dès lors parlons un peu technique et architecture sous l’angle de la conservation d’un bâtiment exceptionnel et non sous celui de sa consommation de masse par un public toujours plus nombreux. Le président, flanqué de son premier ministre, dans le silence étourdissant du ministre de la Culture pourtant dépositaire devant tous les Français d’un joyau de cette eau, apparait bien mal conseillé après avoir décrété en quelques heures de la méthode et du planning de reconstruction.

On a peur de comprendre qu’aucun spécialiste n’a été consulté, surtout pas l’ architecte en chef des Monuments Historiques ,en entendant une déclaration qui donne plus dans le pathos que dans la décision responsable.

On a même réussi à émouvoir des grands et richissimes donateurs ( ont-ils des choses à se faire pardonner?) qui sont d’ordinaire plutôt cœur de pierre que pierre tout court, mais, si on doit rendre des comptes sur le respect du sacro-saint coût-efficacité, alors le président se trompe complètement et entraîne de force dans sa vision échevelée d’une reconstruction des millions de Français qui n’en peuvent mais. Que dire de la décision risible de lancer un concours international d’architecture pour reconstruire ou non la flèche de Notre-Dame (il est clair qu’on peut en rire comme un bossu et c’est à peu près aussi insensé que de lancer une consultation de peintres pour refaire la Joconde, si elle venait à être endommagée !) ?

Qui choisira? Le président encore, au nom du peuple français, et lequel de ces brillants et renommés architectes serait retenu? Celui qui aurait fait la flèche la plus haute,un mètre de plus que la précédente, record battu, celui qui proposerait le délai le plus court? Un hologramme suffirait alors et serait sans rival. Celui qui ferait une œuvre moins chère que ses concurrents, celui qui la ferait scintiller comme la tour Eiffel toutes les heures ou qui la remplacerait par 5 anneaux olympiques? Je tremble à l’idée de dépouiller les projets des candidats abrutis par le lobbying intense des grands groupes et pressés de faire révérence au prince.

Vite fait, bien fait : voilà, semble-t-il, la doxa à la mode qui s’applique comme un baume apaisant sur les plaies de la démocratie participative.

En d’autres termes, faire participer tout le monde en instituant le débat du siècle qui brasse tout et son contraire est un moyen à peine dissimulé de ne pas supporter le poids de la responsabilité.

Il faut se rendre à l’évidence, Notre-Dame a brûlé, la température est montée à plus de ,800 degrés et le brasier a dévoré tous les matériaux y compris les joints des pierres quasiment millénaires.

Un édifice comme celui-là repose sur un jeu subtil d’équilibre des forces entre les verticalités (les murs), la voutabilité et ses clés et les transversalités (contreforts et arcs boutants). Des charges considérables s’exercent sur les éléments de la construction.

Pierres, bois, mortier, plomb, verre ont été bouleversés et vont devoir se redistribuer,d’abord dans un état intermédiaire, puisque la voûte a été percée, puis après, calcul et stabilisation dans l’état final de l’ouvrage.
Les fondations même et le sous-sol vont en subir les conséquences .

De grâce, prenons le temps de l’expertise qui va devoir, comme les bâtisseurs de cathédrales, se pencher sur la physique des solides et sur le calcul des contraintes. En conséquence il ne faut surtout pas rebâtir en 5 ans un édifice qui doit ses qualités architecturales et esthétiques à la lente interaction des forces naturelles avec le génie des constructeurs. Aller vite, outre que c’est à la mode pour permettre aux dirigeants de montrer que c’est grâce à eux qu’on a su effacer un désastre, c’est vouloir, toute proportion gardée, prendre l’ascendant sur un incendie qui a ravagé le monument.

Les forces du mal sont entrées en action, prenons les de vitesse pour les jeter dans les bas-fonds de l’histoire: le mal est convoqué sur le pré pour un duel qui ne souffre aucun délai, mais on garde le choix des armes.
Les fausses bonnes idées sont toujours difficiles à combattre, parce qu’elles ont un côté principe de précaution qui les rend tentantes et surtout elles flattent la dimension populiste du pouvoir : il faut montrer que l’on agit, dans quelque domaine que ce soit; mais agir peut vouloir dire prendre le temps de le faire et de faire bien.

Tout le monde se fiche de savoir que l’on aura une cathédrale rutilante en papier mâché le jour de la cérémonie d’ouverture des Jeux de 2024. En revanche, les générations futures qui n’auront pas envie de savoir combien de temps cela a pris s’émerveilleront à juste titre de cet édifice millénaire qui se reflétera pour toujours dans la Seine.

En conclusion, réjouissons-nous du fait que pour une fois nous n’avons pas de souci à propos du financement des travaux et cessons de polémiquer.

Un général est à la tête des troupes de reconstruction. Qu’il relise Victor Hugo et qu’il ressuscite la spiritualité du lieu. N ‘inventons surtout pas une nouvelle cathédrale grâce à je ne sais quel résultat de concours, mais donnons-lui les moyens de traverser les siècles à venir.

PS qui n’a rien à voir avec la politique !

Je m’étonne que nos grandes voix de l’architecture mondialement reconnus – prix Pritzker et grands prix en tout genre- n’aient pas pris leur plume pour rappeler la vertu cardinale de l’architecture face au miroir de la société, à savoir l’humilité avec un grand H comme humanisme.

N’en déplaise au président ce H résume tout ce qu’on peut dire et penser d’un monument érigé pour témoigner à travers les siècles de la foi humaine. Le quinquennat et l’olympisme moderne n’ont rien à y faire.
Demandons plutôt aux hommes de l’art d’inventer le futur sans insulter le passé !

JB
Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts (er) »

Comme quoi, tous ceux qui méprisent à l’envi les compétences avérées feraient mieux d’aller se rhabiller !

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